omment ? » diront certains : « Je croyais que le principe de l'agriculture bio, c'était précisément de ne pas employer de pesticide ? » - C'est la réaction de près de la moitié des gens en France, qui met en lumière un profond malentendu, savamment entretenu par un grand nombre d'acteurs de la filière.
Voici la définition de l'agriculture biologique (AB), d'après Wikipédia :
« L’agriculture biologique constitue un mode de production qui trouve son originalité dans le recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. Ainsi, elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi d’intrants ».
Donc, l'AB tente d'exclure, théoriquement au moins, l'usage des produits chimiques de synthèse», c'est à dire, d'après Wikipedia : « un enchaînement de réactions chimiques mis en œuvre volontairement par un chimiste pour l'obtention d'un ou de plusieurs produits finaux, parfois avec isolation de composés intermédiaires ».
Nous allons voir, à l'aide d'un exemple précis, que ce qui est revendiqué dans la définition de l'AB n'est qu'un vœu pieux.
L'AB a remis à l'honneur en viticulture, le sulfatage, c'est à dire la pulvérisation de bouillie bordelaise, soupe emblématique bleue, déjà utilisée au 19ème siècle par les viticulteurs bordelais, et qui servait initialement à dissuader les voleurs de raisin.
Des essais scientifiques menés à la fin du 19ème siècle avaient permis de conclure que cette pratique était efficace pour lutter contre un champignon qui s'attaque à la vigne (mais aussi à de nombreuses autres plantes) et qui devient particulièrement actif lorsque le temps devient froid et humide. Le procédé s'est rapidement étendu à toutes les régions qui peuvent être soumises à cet aléa climatique.
Au fait, comment les chimistes obtiennent-ils cette bouillie bordelaise ?
C'est très simple. On fabrique d'abord le sulfate de cuivre à partir d'oxyde de cuivre et d'acide sulfurique :
CuO + H2SO4 --> CuSO4 + H2O
On mélange ensuite la solution de sulfate de cuivre (bleue) avec de la chaux éteinte, et on obtient donc la bouillie cherchée. Notons au passage que l'obtention de la bouillie bordelaise répond très exactement à la définition des produits chimiques de synthèse, théoriquement exclus de l'agriculture biologique.
« Oui mais », diront les défenseurs de la pratique, « Par produits chimiques de synthèse, nous entendons, évidemment, les produits issus de la synthèse organique ».
Je répondrai en disant, premièrement que ça aurait été plus simple en le disant au lieu de le cacher, et deuxièmement que la vraie raison, en réalité, c'était plutôt qu'il était jugé impossible par les premiers défenseurs de l'AB de se passer de la bouillie bordelaise en viticulture si on voulait conserver des rendements acceptables dans certaines régions comme en Champagne, et qu'il fallait donc accepter une certaine intrusion de la chimie dans le système si on voulait que le beau rêve de l'AB prenne vie.
Je ferai aussi remarquer que dans la liste des produits chimiques autorisés en AB, figure par exemple l'éthylène qui sert d'agent de déverdissement pour les bananes bios, et d'agent l'inhibition de germination pour les pommes de terre et les oignons bios (vous saviez çà vous ?). Cette information est consultable dans le réglement CE N°889/2008 modifié mai 2011 portant sur les produits chimiques utilisables en AB. L'éthylène est, pour ceux qui l'ignoreraient, un des plus grands produits de l'industrie de la synthèse pétrochimique.
L'éthylène, c'est aussi une phytohormone (mais de synthèse), et on aurait pu penser que ce type de synthèse, c'était précisément ce que l'AB voulait exclure absolument. Tout faux...
Ayons donc une pensée pour les bobos ignorants qui achètent au supermarché des bananes bios enveloppées dans un sachet étanche de cellophane afin que l'éthylène ne s'échappe pas...
La liste des fameux intrants chimiques autorisés dans l'agriculture biologique, mais que celle-ci veut limiter au maximum, est définie dans un document accessible sur Internet : c'est le RÈGLEMENT (CE) No 834/2007 DU CONSEIL du 28 juin 2007, document particulièrement amphigourique, typique des productions en provenance des autorités européennes.
J'ai extrait de ce guide quelques-unes des propriétés des produits qui me paraissaient intéressantes à décrire ne serait-ce que parce qu'elles sont peu ou pas connues du public, et spécialement des partisans de la disparition complète des pesticides.
Pesticides et produits autorisés en agriculture biologique
-1)
Composition de l'extrait de Pyrethrum cinerariaefolium (Pyréthrines)
Les produits insecticides que l'on trouve dans l'extrait de Pyrethrum cinerariaefolium sont des esters c'est à dire des produits de la condensation d'un acide et d'un alcool. Les acides sont l'acide chrysanthémique et l'acide pyréthrique. Les alcools la pyréthrolone, la cinérolone et la jasmololone. Il y a donc six (2 x 3) possibilités de condensation correspondant à six esters différents. Les esters de pyréthrolone sont appelés pyréthrine I avec l'acide chrysanthémique et pyréthrine II avec l'acide pyréthrique. Les esters de cinérolone sont appelés cynérine I avec l'acide chrysanthémique et cynérine II avec l'acide pyréthrique. Enfin les esters de pyréthrolone sont appelés jasmoline I avec l'acide chrysanthémique et jasmoline II avec l'acide pyréthrique.
Nom | Etiquettes de danger | Formule chimique | Référence | |
Pyréthrine I |
11 % |
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GESTIS |
Pyrétrine II
|
33 %
|
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||
Jasmoline I | 5 % | ![]() |
||
Jasmoline II | 4 % | ![]() |
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Cinérine I | 10 % | ![]() |
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Cinérine II | 14 % | ![]() |
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La signification des étiquettes de danger est donnée dans un tableau en bas de la page. |
Les pyrétrines mentionnées ci-dessus sont des composés chimiques que l'on trouve effectivement dans les fleurs de chrysanthème de Perse et de pyrèthre de Dalmatie, mais que l'on peut aussi obtenir par synthèse (On les appelle alors "pyréthrinoïdes").. Ce sont des esters résultant de la condensation (estérification) entre les acides (première rangée ci-dessous) et les alcools (deuxième et troisième rangée), mais la classe des pyréthrinoïdes rassemble aussi des produits qui ne comportent ni ces acides ni ces alcools).
Acide chrysanthémique |
Acide pyréthrique |
Pyréthrolone |
Cinérolone |
Jasmololone |
-2)
utilisée comme Acaricide et insecticide en agriculture biologique
Nom | Etiquettes de danger | Formule chimique | Spécialités commerciales | |
d-Limonène | 95 % |
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![]() |
ESSEN'CIEL LIMOCIDE PREV-AM |
Myrcène | 1 à 2 % | ![]() ![]() |
![]() |
|
α-Pinène | 1 à 2 % |
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![]() |
|
Décanal | < 1 % | ![]() |
![]() |
|
Linalol | < 1 % | ![]() |
![]() |
|
La signification des étiquettes de danger est donnée dans un tableau en bas de la page. |
Comme on peut le constater, l'huile essentielle d'orange douce contient un certain nombre de produits qui sont loin d'être anodins, en dépit des termes rassurants utilisés pour la décrire, par ses vendeurs. Le d-limonène est, en outre, soupçonné d'être un perturbateur endocrinien.
-3)
utilisée comme Inhibiteur de germination en agriculture biologique
Nom du composant | Etiquettes de danger | Formule chimique | |
(R)-Carvone | 38 à 42 % | ![]() ![]() |
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d-Limonène | 20 à 22 % | ![]() ![]() ![]() |
![]() |
cis-Carvéol 2-Methyl-5-(1-methylethenyl)-2-cyclohexen-1-ol |
23 à 25 % | ![]() ![]() |
![]() |
1,8-Cinéol 2-Methyl-5-(1-methylethenyl)-2-cyclohexen-1-ol Eucalyptol |
3 à 5 % | ![]() ![]() |
![]() |
cis-Dihydrocarvone (1) |
< 5 % | ![]() ![]() |
![]() |
Acétate de carvyle | < 5 % | ![]() ![]() |
![]() |
Hydrate de cis-sabinène (2) |
< 2 % | ![]() ![]() |
![]() |
La signification des étiquettes de danger est donnée dans un tableau en bas de la page. |
-4)
utilisée comme Acaricide et insecticide en agriculture biologique
Etiquettes de danger | Spécialités commerciales |
![]() |
CITROLE ANTICOCHENILLES NOVA CATANE INSECTES D'HIVER OVIPRON PLUS OVIPRON PLUS OVISPRAY |
-5)
Nom | Formule chimique | Usage | Etiquettes de danger |
Phosphate ferrique | ![]() |
Molluscicide | sans objet |
Sulfate de cuivre | ![]() |
Fongicide | ![]() ![]() ![]() |
Hydroxyde de cuivre | Cu(OH)2 | Fongicide | ![]() ![]() ![]() |
Oxychlorure de cuivre | Cu2Cl(OH)3 | Fongicide | ![]() ![]() |
Oxyde cuivreux | CuO | Fongicide | ![]() ![]() |
Soufre | ![]() |
Fongicide | ![]() |
Ethylène | ![]() |
Agent de déverdissage : bananes, kiwis, kakis et agrumes. Agent d'induction florale : ananas Agent d'inhibition de la germination : pommes de terre et oignons |
![]() ![]() ![]() |
Composant | Formule chimique | teneur (en %) | Usage | Etiquettes de danger |
Trioléate de glycéryle | ![]() |
49,1 à 61.9 | excipient | Non dangereux |
Tristéarate de glycéryle | ![]() |
14,4 à 24,2 | excipient | Non dangereux |
Tripalmitate de glycéryle | ![]() |
13,6 à 17,8 | excipient | Non dangereux |
Trilinoléate de glycéryle | ![]() |
2,3 à 15,8 | excipient | Non dangereux |
Trimyristate de glycéryle | ![]() |
0,03 à 0,26 | excipient | Non dangereux |
Azadirachtine | ![]() |
0,5 à 2,0 | insecticide | ![]() ![]() |
Le Spinosad est un produit largement utilisé en agriculture biologique, mais qui présente des caractéristiques inquiétantes selon la bibliographie publiée en 2018 par l'EFSA.
Les conclusions de l'EFSA à la suite de l'examen par les pairs des premières évaluations des risques effectuées par les autorités compétentes de l'État membre rapporteur, les Pays-Bas, et de l'État membre corapporteur, la France, pour la substance active pesticide spinosad et l'évaluation des demandes de limites maximales de résidus ( LMR) sont explicitées dans le document en référence. Le contexte de l'examen par les pairs était celui requis par le règlement d'exécution (UE) n° 844/2012 de la Commission. Les conclusions ont été tirées sur la base de l'évaluation des utilisations représentatives du spinosad comme insecticide sur bulbe/oignons secs, maïs (fourrage et céréales), maïs doux, raisins (table et vin), laitue, pomme de terre, aubergine, poivron et tomate. Les LMR ont été évaluées pour les poireaux de plein champ et les fraises des champs et de serre, les fruits de canne, la salade de laitue et de plantes (autres), les épinards et feuilles similaires (autres), les herbes et fleurs comestibles (autres), les cardons, la rhubarbe et les produits d'origine animale.
Composant | Formule chimique | teneur (en %) | Références | Etiquettes de danger |
Spinosad | ![]() |
Produit commercial : Solution à 480 g/l |
![]() |

Cette visite rapide des produits chimiques autorisés en agriculture biologique montre que ce mode de culture peut utiliser des produits chimiques, comme l'agriculture conventionnelle, y compris de synthèse, et que ces produits ne sont pas anodins. Les étiquettes de danger (qui doivent obligatoirement être apposées sur les contenants de ces intrants) l'indiquent très clairement pour les non-chimistes, et mieux que pourrait le faire un grand discours. En fait, il est complètement illusoire de consommer des produits "bios" pour éviter les produits chimiques... En outre, sur le plan environnemental, certains de ces produits contenant du cuivre par exemple, sont dits persistants, et s'accumulent dans le sol, ce qui risque de le rendre petit à petit impropre à toute culture. (Notons que le cuivre est un métal lourd 1).
En réalité, il apparaît qu'il est impossible de nos jours d'éviter l'usage de certains produits si l'on veut cultiver de nombreuses plantes et obtenir un rendement permettant de nourrir la population. Les aléas climatiques "normaux" sont tels sous nos latitudes que certains parasites comme le mildiou s'installent obligatoirement pratiquement tous les ans sur les cultures et détruisent les rendements. C'est pour cette raison que les promoteurs primitifs de l'agriculture biologique ont dû faire quelques entorses à leur rêve d'une agriculture complètement naturelle et ont introduit les produits cités ci-dessus.
Il faut bien être conscient du fait que certains de ces produits comme les huiles essentielles, contiennent, parmi leurs constituants, des substances dont la toxicité est avérée. L'attitude consistant à déclarer "c'est végétal, donc c'est bon" est parfaitement stupide : l'amanite phalloïde est aussi végétale. Les poisons les plus puissants proviennent du règne végétal. Par exemple, l'aflatoxine B1, qui est produite par un champignon du genre Aspergillus et qui se développe sur les graines ou sur les fruits secs ou les fruits à coque si les conditions sont favorables (chaleur, humidité et surtout absence de biocide) provoque chez l'homme l'apparition en quelques jours d'un cancer du foie, fatal dans la plupart des cas.
Commentaires
À partir du moment où c'est de la matière, c'(est chimique : Ça a un formule chimique.
On me dira : Oui, mais il y a du chimique naturel et du chimique de synthèse, comme si tout substance issue du vivant n'était pas le fruit d'une synthèse.
Et qu'on ne vienne pas me dire que le pétrole n'est pas une substance naturelle, il faut se renseigner avant de dire des âneries.
Pour autant, je ne défend pas l'usage inconsidéré des phytosanitaires. Le problème est la compréhension de ce que l'on fait et le respect de la Terre (avec une majuscule, mais pas au sens de planète). Un fumier ou un lisier mal géré dans une exploitation bio fait plus de dégâts que quelques phytosanitaires non bio mais utilisés intelligemment.
Je crois qu'on en revient toujours aux mêmes problèmes : La recherche exagérée du profit, et les modes successives.
Dans les années 60, la même catégorie politique que celle où se recrute actuellement les écolos fanatique, prétendait que la science de l'Homme, débarrassés de ses croyances religieuse, allait maîtriser la nature (Un bel exemple : La Mer d'Arral)…
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