as un mois ne se passe aujourd'hui sans qu'un média se répande en diatribes violentes contre ce que certains qualifient de "saloperies" : je veux parler des pesticides.
La télévision nous assène régulièrement des messages anxiogènes sur ces produits, avec l'aide de tous les effets bien connus au cinéma pour manipuler le spectateur, voix et musique angoissantes à l'appui. Les émissions sont systématiquement à charge,
et certains investigateurs se sont même trouvé une spécialité dans la diffamation systématique et sans risque de produits qui ont eu la malchance d'être produits dans des usines elles-mêmes régulièrement accusées, appartenant à des entreprises vomies par ces investigateurs. Cette atmosphère délétère sciemment entretenue contre ces produits amène petit à petit le consommateur moyen et ignorant à se détourner des aliments susceptibles d'en contenir mêmes d'infimes traces. D'ailleurs, il suffit aujourd'hui, pour ces investigateurs animés par une haine soutenue par leur seule certitude, de dénoncer, au besoin sans preuve, mais en maniant habilement la syntaxe, la présence évidemment critique d'un de ces produits, pour déclencher des mouvements de foule hostile. Et c'est bien là, d'ailleurs, l'objectif de ces personnes.
Certains politiques, toujours à l'affut de ce qui, pensent-ils, leur procurera un électorat supplémentaire, annoncent qu'ils voudraient éradiquer l'usage de ces produits le plus tôt possible, d'autant plus rapidement d'ailleurs que d'une part ils ne connaissent généralement pas tous les tenants et les aboutissants du problème et que d'autre part ils sont sans cesse orientés par la propagande incessante d'un lobby tout puissant dont les motivations commerciales sont très évidentes. Mais je parlerai un peu plus loin de ce lobby.
Cependant, avant de convoquer les grandes gueules de l'écologie qui sauront, soyons en sûrs, décider du grand soir de l'éradication, sans se préoccuper ou même avoir conscience une seule seconde des conséquences de ce genre de manifestation (voir le précédent constitué par le "Grenelle de l'environnement"), il conviendrait de fournir des éléments de réponse à deux questions concernant précisément la fin de l'usage des pesticides :
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A quoi servent les pesticides?
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Quelles seraient les conséquences positives ou négatives de leur disparition ?
Nous allons voir que ces deux questions sont intimement liées et qu'en particulier l'analyse du point N° 1 procure les réponses au point N° 2.
Il convient, en premier lieu, d'éclaircir le point important suivant : contrairement à ce que plus de la moitié des gens pensent, l'agriculture bio utilise des pesticides à grande échelle, et ceux-ci peuvent bien être des produits chimiques de synthèse, contrairement à ce que déclare la définition du bio. J'ajouterais qu'au point de vue du tonnage de pesticides consommé exprimé en kg par hectare et par an, l'agriculture bio est probablement en tête, devant l'agriculture dite conventionnelle. Je dis probablement, parce que les tonnages utilisés par l'agriculture bio ne sont curieusement pas publiés 1.
Évidemment, cette affirmation brute va faire sursauter plus d'une personne de bonne foi, si bien que des explications complémentaires sont nécessaires. Heureusement, la consultation du tableau des produits chimiques utilisés en agriculture biologique va largement éclairer la question. Eh oui, on nous le cache soigneusement, du moins sur les étals du marché au rayon "produits bio" : ces fameux fruits et légumes bio que l'on croyait exempts de tout produit chimique sont en fait, pour la plupart, abondamment traités principalement au sulfate de cuivre lequel est le résultat de la synthèse chimique en bonne et due forme que l'on appelle prudemment "bouillie bordelaise". Ajoutons que le cuivre est un métal lourd dont l'écotoxicité pour les organismes aquatiques en particulier n'est plus à démontrer, au point qu'on l'utilise aussi dans de nombreux domaines aquatiques pour tuer tout un tas de bestioles qualifiées de nuisibles...
D'après l'agriculteur bio moyen de bonne foi, cependant, ce fameux cuivre ne serait pas si toxique que ça, et passerait pour très tolérable à condition de respecter les doses limites. Sauf qu'il est déjà interdit dans un certain nombre de pays européens comme le Danemark et les Pays Bas. (Mais aux Pays Bas, curieusement, il reste autorisé en agriculture biologique ... ?), et sauf qu'il est pratiquement indestructible et qu'il risque de s'accumuler dans la terre, rendant celle-ci impropre à toute culture. Enfin, là n'est pas la question. Le sulfate de cuivre neutralisé à la chaux, composition nommée "bouillie bordelaise" est bel et bien un pesticide et plus spécialement un fongicide issu de la synthèse chimique des plus classiques comme je l'ai montré dans l'article en référence au paragraphe précédent. Et il est universellement utilisé par l'agriculture bio en traitement préventif et curatif. L'agriculture conventionnelle, elle, préfère en général utiliser d'autre fongicides plus efficaces, et généralement beaucoup moins toxiques et plus biodégradables que les produits à base de cuivre qui ne le sont, eux, pas du tout, .
Mais pourquoi donc l'agriculture biologique utilise, elle aussi, ces fameux produits si abhorrés ? Tout simplement parce qu'il lui est impossible de faire autrement sous nos latitudes si on veut conserver un rendement acceptable. C'est le tribut obligatoire payé au réalisme. Mais il est évidemment important que ce fait soit, autant que faire se peut, passé sous silence, car une des raisons majeures de l'achat de ces produits "bio", c'est précisément d'acquérir des produits "sans pesticide" !
En réalité, consommer bio , c'est seulement avoir la garantie que les pesticides utilisés appartiennent à une certaine catégorie (voir le tableau) mais pas du tout que les pesticides sont absents de la nourriture bio. Notons que les "études" d'associations de consommateurs qui cherchent à détecter les pesticides dans les fruits ou les légumes ne s'intéresse, bizarrement, qu'aux pesticides hors tableau. Ceux qui y figurent sont considérés, probablement, comme "sans danger"...
Que se passerait-il si, dans le cadre du "zéro pesticide" tant désiré, on interdisait l'usage de la bouillie bordelaise ainsi que celui des autres fongicides en France ? Eh bien, dans un certain nombre de régions humides, disons dans l'ensemble du territoire à l'exception de l'arc méditerranéen ainsi qu'une zone remontant de quelques centaines de kilomètres le long de la vallée du Rhône, le mildiou ferait des ravages sur la vigne, les tomates et la pomme de terre entre autres cultures. Pour avoir une idée de l'étendue de ces ravages, il faut se souvenir de la grande famine Irlandaise des années 1845 -1849 qui provoqua l'exode de millions d'Irlandais vers les USA. Et malheureusement, l'usage de purins divers préconisés comme substituts aux fongicides n'a jusqu'à présent donné aucun résultat probant et reproductible.
Mais, rétorqueront certains ces cultures existaient bien avant la mise sur le marché des pesticides modernes ou de la bouillie bordelaise ? Revenons donc à ces conditions et débarrassons-nous définitivement de ces "poisons" !
Hélas, un examen de la littérature nous montre sans conteste que le mildiou est apparu en France vers le milieu du 19ème siècle, probablement importé d' Amérique du Sud. Il n'est pas possible, avec les connaissances actuelles, d'éradiquer complètement ce champignon. Peut-être que le génie génétique nous fournira un jour des tomates ou du raisin résistant au mildiou. Et j'entend déjà les protestations des anti OGM... Bigre, les écolos ont l'art de nous fourrer dans des situations inextricables : interdiction des fongicides + interdiction des OGM = impossibilité de cultiver des tomates, de la vigne ou des pommes de terre dans la plupart des régions françaises par suite de la présence du mildiou... Cette intransigeance pourrait bien nous amener des famines analogues à celle qu'a connu l'Irlande... Cette situation me rappelle d'ailleurs furieusement une autre situation inextricable dans laquelle nos amis écolos ont l'art (et de désir) de nous fourrer. Il s'agit de la transition écologique vers une énergie décarbonée : interdiction d'utiliser des combustibles fossiles + interdiction d'utiliser le nucléaire qui nous amène inéluctablement au blackout total les nuits où il n'y aura pas de vent...
Le bio possède aux yeux de certains de ses adeptes une propriété dont l'importance échappe au raisonnement logique : il est issu d'un milieu où l'on n'admet que des produits issus eux--mêmes du vivant. On quitte, à partir d'ici, le domaine de la raison pour entrer dans celui de la croyance. Les molécules issues du vivant posséderaient des propriétés spéciales uniques bénéfiques (du moins pour certaines). L'acide formique projeté sur leurs ennemis par les fourmis aurait, sur l'acide formique produit par la synthèse chimique des propriétés supérieures. L'acide acétique obtenu par oxydation enzymatique (mycoderma aceti) de l'alcool aurait également des propriétés nettoyantes bien supérieures à celles de l'acide acétique synthétique... Et ces propriétés seraient transmises par des forces invisibles dépendant entre autres de la position des planètes... Je suis très sérieux : je ne fais que dérouler les théories de Rudolf Steiner, père de l'agriculture biodynamique, qui n'a jamais eu d'ailleurs de contact avec le travail aux champs, mais qui, alors âgé de 63 ans, pense l'agriculture depuis son bureau. Ce monsieur organisa une série de huit conférences pour développer une version agricole de sa pensée anthroposophique, connues sous le nom de Cours aux Agriculteurs, qui furent données du 7 au 16 juin 1924 sur le domaine du comte Karl von Keyserlingk à Koberwitz près de Breslau en Silésie, devant un public d'agriculteurs, de vétérinaires et de scientifiques. Ce sont les principes développés par Steiner qui sont aujourd'hui appliqués scrupuleusement par les nombreux viticulteurs en biodynamie qui vendent (très bien) leur vins "biodynamiques" dans les plus grands restaurants à un certain nombre de gogos heureux de payer cher un produit sans qualités particulières autres qu'imaginaires... Enoncés après deux cents ans de travaux scientifiques, ce genre d'attitude, adoptée par de nombreux convertis, mais pas vraiment par tous les vrais connaisseurs du vin, n'est malheureusement pas contestable par la logique rigoureuse de la méthode scientifique. Il est difficile de convertir des illuminés...
L'opposition aux OGM participe des mêmes principes : le vivant serait sacré et immuable et seules les mutations génétiques provoquées par la radioactivité naturelle parce que non éradicable 2 ou par le rayonnement cosmique naturel parce que non éradicable 2 seraient acceptables, même si elles conduisent dans la plupart des cas, à des organismes non viables. Trente ans de consommation quotidienne de produits OGM par des millions de personnes comme c'est le cas sur le continent américain sans observer de conséquence négative ne seraient pas une preuve suffisante aux yeux des opposants. (Cent ans et des milliards de personnes ne le serait pas non plus d'ailleurs). Lorsqu'on retombe dans le domaine de la croyance parce que le politiquement correct impose de respecter toutes les croyances, on peut seulement s'alarmer du peu de chances restant au raisonnement méthodique et à la méthode scientifique de s'imposer. Et on peut logiquement admettre que l'ère du progrès technique risque de s'arrêter au moins dans certaines parties du monde...
Est-il besoin de pousser plus loin la démonstration ? Il apparaît, il me semble clairement, que l'élimination totale des pesticides est tout simplement impossible dans l'état actuel de nos connaissances. Mais il est intéressant d'essayer d'analyser comment et pourquoi une majorité de nos concitoyens en est arrivée à vouloir a tout prix arriver à cette situation mythique du "zéro pesticide". La clef de cette interrogation, je l'ai trouvée dans un ouvrage récemment paru qui s'appelle "Panique dans l'assiette" de Gil Rivière-Wekstein. Dans ce livre, l'auteur montre, et je le crois très clairement, que c'est le lobby du bio qui instille petit à petit dans la tête des consommateurs que la nourriture issue des pratiques conventionnelles de l'agriculture est littéralement "empoisonnée" par l'usage de produits qui, bien entendu, ne sont pas utilisés en agriculture bio. Ainsi, et sans jamais que cela soit préconisé directement, les consommateurs sont amenés tout naturellement à se tourner vers les produits bio. Or, il se trouve que ces "lanceurs d'alerte" sont aussi directement intéressés au chiffre d'affaires de la filière bio, ce qui explique évidemment leurs prises de position - CQFD.
En guise de conclusion, j'aimerais citer le film américain "Into the Wild" (dans la nature sauvage) dans lequel le héros, un jeune homme au sortir de ses études, est conduit à rejeter le milieu social de ses parents, et plus généralement tout ce qui concerne l'argent et le commerce. Il décide de vivre la vie des pionniers, et finit par trouver refuge dans un vieux bus scolaire, au milieu de nulle part. (Ce qui montre tout de même que les produits de la civilisation moderne peuvent nous protéger lorsque l'hiver se fait rude ou quand un ours décide de s'inviter au déjeuner...)
A la fin du film, notre jeune héros va trouver la mort très bêtement en se nourrissant par erreur avec une plante toxique qu'il a confondu avec une plante comestible, nous démontrant ainsi que la nature sauvage "riche et généreuse" sait aussi se montrer impitoyable pour les ignorants...