Iol y a une dizaine d'années, au moment où pas mal de fables écologiques voyaient le jour et se répandaient, un dossier spécial de "Pour la Science" consacré à l'eau (janvier - mars 2008) avait mis à mal un certain nombre de mythes répétés à l'envie par les "milieux généralement bien informés", mythes qui finissent par conduire le public à des actions carrément stupides.

Voici le début de l'article écrit par Bernard Barraqué, Directeur de recherches au CNRS. Je vous encourage à le lire et à éventuellement faire le lien avec mes précédents articles sur le sujet...

Eau

"On s'est battu au XIXe siècle pour l'or, on s'est battu au XXe siècle pour le pétrole ; on se battra au XXIe siècle pour l'eau.

Ainsi s'exprimait le frère du roi Hussein de Jordanie dans les années 1990, pour un film de la B.B.C. intitulé Les guerres de l'eau.

On exprime la même idée quand on identifie l'eau à « l'or bleu » : la relative raréfaction de cette ressource susciterait des tentatives d'appropriation privative, et il conviendrait d'en faire un « bien public mondial », aussi bien que l'air, afin d'en garantir l'accès à l'humanité entière. La notion de bien public mondial n'est d'ailleurs pas claire, puisqu'un bien public implique une gestion par un Etat et qu'il n'existe pas d'État mondial. Ces affirmations dogmatiques et médiatiques (souligné ajouté ndlr) ont, certes, l'intérêt de susciter une mobilisation générale et de lancer la réflexion collective, mais elles sont erronées. L'expression « or bleu » conduit en effet à assimiler inconsciemment l'eau à un minerai ou à une ressource fossile, non renouvelable, comme l'or et le pétrole (« l'or noir »). Ces derniers font l'objet d'une appropriation privative, ou publique par des Etats, parce que leur possession et leur usage sont exclusifs ; et il existe un marché mondial de l'or et du pétrole. Au contraire, mise à part l'eau profonde, ou eau fossile, l'eau est une ressource naturelle renouvelable. Elle est omniprésente sur la Terre, sauf dans les déserts, et ne fait l'objet d'aucun marché mondial, ni même national. Il est d'ailleurs pour le moins naïf de comparer le prix d'un litre d'essence au prix... du mètre cube d'eau, en se trompant d'ailleurs dans les ordres de grandeur ! L'eau est un bien public régional ou local".

 

Les poncifs à la mode sur l'eau

L'eau contient une charge symbolique extraordinaire, et les "économies d'eau" sont un sujet sur lequel il est très facile de mobiliser les foules. Depuis une trentaine d'années, d'ailleurs, les gouvernement successifs ne se sont pas privés d'utiliser ce levier de mobilisation qui marche à tous les coups. Mais, pour faire fonctionner le levier, certains ont jugé bon de l'accompagner d'affirmations aussi péremptoires que fausses, afin d'enfoncer d'avantage le clou dans la tête des citoyens.

1) Dans les années 1990, un poncif a circulé sur d'innombrables sites Internet, y compris des sites réputés "sérieux" comme celui d EDF.. On y apprenait qu'un robinet qui fuyait au goutte à goutte représentait, dans l'année, une perte de 35 mètres cubes d'eau.

Comme tous les éléments de calcul sont présents dans ce poncif, il est facile de déterminer combien ces 35 mètres cubes par an représentent pour une seconde :

35 000 / (365,25 x 24 x 3 600) = 1,1 millilitres par seconde, soit 22 gouttes standards. A ce stade, ce n'est plus du goutte à goutte, mais un écoulement continu. L'inventeur de ce poncif a simplement exagéré en multipliant par au moins 22 le résultat. En effet, un goutte à goutte au rythme d'une goutte par seconde représente déjà une fuite non négligeable. Une goutte toutes les dix secondes serait probablement plus près de la réalité, ce qui ferait alors passer l'exagération de 22 fois à 220 fois... Malgré cette énorme exagération, ce mythe a circulé pendant au moins dix ans, désinformant tranquillement des millions de personnes.

 

2) Dans un autre domaine, on a incité les fabricants d'électroménager utilisant de l'eau (lave-vaisselle, lave-linge) à utiliser des quantités moindres d'eau. Cela a semblé si important qu'on a même établi une classification (A, B, C...) pour faire semblant de chiffrer les économies. Je dis bien faire semblant, car si on avait mis en relief l'économie réelle qu'a représenté un super lave-linge classe A pour les économies d'eau, c'est à dire un lave-linge capable d'économiser la moitié des 100 l autrefois nécessaires pour faire une lessive, soit 50 litres par lessive, ou encore 2 500 litres par an à raison d'une lessive par semaine, soit encore 7,5 euro par an avec une eau payée au prix moyen de 3 euros le mètre cube...tous le monde aurait compris qu'on était en train de prendre les consommateurs pour des billes...

 

3) Une autre exagération dans le domaine de l'eau, consiste à présenter les économies d'eau comme un geste "citoyen" sous-entendant que l'on va prochainement manquer de ce précieux liquide. Or, je suis désolé de déclarer à tous les acteurs de ce geste "citoyen" qui prennent des douches au lieu de bains, qui ferment soigneusement leur robinet entre le moment où ils mettent du dentifrice sur leur brosse et celui où ils se rincent la bouche, qu'à part le fait de réduire le montant de leur facture d'eau, ils ne participent en aucune manière à l'amélioration du sort de l'humanité. En effet, notre pays, reçoit du ciel entre 450 et 500 kilomètres cubes d'eau par an sous forme de précipitations : pluie, grêle, neige. Cette eau alimente les réserves naturelles (glaciers et nappes souterraines), puis le surplus se rassemble en rivières et en fleuves, pour finir par s'écouler vers la mer. Les Français prélèvent sur cette eau environ 34 kilomètres cubes soit moins d'un dixième de ce que le territoire reçoit, pour leurs utilisations quotidiennes, celles de l'agriculture et celle de l'industrie. 3 % de la ressource est évaporée ce qui signifie qu'elle est effectivement consommée. Mais, les 97 % autres retournent vers les cours d'eau d'où ils peuvent être réutilisés. Cela signifie simplement que nous disposons globalement de quantités d'eau infiniment supérieures à nos besoins. Les économies d'eau ne sont donc pas globalement nécessaires en France.

 

L'eau en France et dans le monde

La consommation de l'eau ne se fait pas d'une manière globale où tous les utilisateurs puiseraient à une ressource centrale unique. Elle est au contraire intimement liée à la production qui se fait, elle par bassins. Les bassins sont des dispositions géographiques dans lesquels l'eau résultant des précipitations (pluie ou neige) se rassemble pour former un cours d'eau. Plusieurs cours d'eau se rejoignent ensuite pour former un cours d'eau plus grand, et cette disposition se reproduit jusqu'à former des fleuves qui se jettent dans la mer. Plusieurs bassins peuvent être administrativement associés pour former un bassin plus grand. La disposition des bassins est toujours organisée par l'écoulement gravitaire de l'eau : la source (glacier, nappe supérieure) est toujours située à une altitude supérieure à celle du cours d'eau auquel elle donne naissance, lequel est lui-même situé à une altitude moyenne supérieure à celle du cours d'eau qu'il alimente.

 

Les cours d'eau sont accompagnés d'une nappe d'eau souterraine qui s'étend de part et d'autre du cours d'eau et lui est complètement reliée. Le coursnappes souterraines d'eau constitue en quelque sorte la partie visible de la nappe souterraine. Dans d'autres cas, la nappe souterraine n'est reliée à aucun cours d'eau et n'a donc aucune partie visible.

 

L'eau est prélevée pour la consommation par pompage dans les nappes ou directement dans les cours d'eau, ou encore dans les sources qui sont des résurgences en provenance de nappes situées en partie supérieure. L'eau est ensuite transportée dans des canaux ou des tuyauteries jusqu'aux lieux de consommation où elle est généralement stockée dans des réservoirs ou des châteaux d'eau.

 

Suivant sa composition, l'eau est généralement traitée afin d'éliminer les éléments indésirables. Pour assurer son transport et son stockage dans des conditions saines, on ajoute généralement une petite quantité d'eau de Javel à l'eau destinée à la consommation humaine (eau potable).

 

Les habitants des différents bassins consomment exclusivement l'eau qui a été produite dans leur bassin, et la rejettent également dans leur bassin après l'avoir assainie afin que celle-ci soit acceptable pour l'environnement. Il n'y a pratiquement pas de lien autre qu'administratif entre deux bassins. Ces derniers fonctionnent donc de manière complètement autonome en ce qui concerne l'eau.

 

Dans les pays comme la France, où la gestion de l'eau a été très sérieusement faite depuis des siècles, il n'y a pas de problème d'eau. Il est donc non seulement inutile, mais même carrément stupide de l'économiser pour d'autres raisons que de dépenser moins. Ce qui est, évidemment une raison que peuvent considérer beaucoup de personnes. Mais c'est un détournement subtil et même pernicieux de faire croire au gens qu'ils "agissent pour la planète" en économisant l'eau. Il paraît qu'il y a quelques années à Berlin, les habitants avaient tellement économisé l'eau que le fonctionnement des égouts était perturbé par manque de circulation, et que les autorités étaient forcées d'envoyer directement dans ces derniers des quantités importantes d'eau potable. (Vous avez dit "stupide" ?)

 

Dans certains pays, les mouvements de la population qui se rapproche des lieux où elle espère trouver du travail, ont souvent créé un déséquilibre grave entre la disponibilité locale de l'eau potable et sa consommation. Ce déséquilibre peut être dans la plupart des cas compensé par la création d'ouvrages d'adductions et d'assainissement d'eau. Cependant, le coût de ces constructions est généralement hors de portée des populations locales, et c'est ce qui crée la pénurie locale. Si l'on veut aider les habitants de ces pays, il faut leur payer la construction des ouvrages idoines, pas faire des économies d'eau...

La "pénurie mondiale d'eau" est un mythe soigneusement entretenu par des "spécialistes" autoproclamés en mal de conférences internationales exotiques.

Dans certains cas, les installations de production d'eau potable existaient, mais avaient été prévues pour un petit nombre d'habitants, et s'avèrent complètement insuffisantes pour fournir l'eau potable à un nombre important de nouveaux habitants. Le cas de la bande de Gaza est célèbre : dans cette région où le sous-sol est sableux, la nappe phréatique était à l'origine située près de la surface, et le pompage excessif a fait baisser son niveau de manière alarmante, car la mer toute proche commence à envahir cette nappe d'eau douce, la rendant impropre à la consommation. Dans ce cas, la fabrication d'eau potable par dessalement de l'eau de mer s'avère la seule solution, en dépit des écolos qui voient dans ce genre de technique une atteinte grave à l'environnement.
Pénurie d'eau potable dans certains pays certes. Mais la situation peut être corrigée localement par des investissements adéquats - pas par des économies d'eau en Europe ! La "pénurie mondiale d'eau" est un mythe entretenu par des "spécialistes" autoproclamés en mal de conférences internationales exotiques, et certains organismes comme l'ONU entretiennent soigneusement ce mythe générateur de financements.


Bibliographie

"La qualité de l'eau et de l'assainissement en France" - tome II - Rapport à l'Assemblée Nationale et au Sénat par Monsieur le Sénateur Gérard Miquel . ISSN 1249-3872

" La crise de l'eau ?" - Patrick Philipon - PERRIN éditeur - ISBN 978-2-262-02782-7

" L'état de l'eau en France" - Caroline Idoux - Delachaux et Niestlé editeurs - ISBN 978-2-603-01420-2

Pour en finir avec les histoires d'eau" - Jean de Kervasdoué et Henri Voron - Plon éditeur - ISBN 978-2-259-21610-4

 

Commentaires   

#1 Claude C 17-03-2019 07:27
Bonjour,
Merci pour votre article.
Je relève dans votre calcul ce que je suppose être une petite erreur ou coquille (je n'ai pas vérifié..) vous passez de 32 000 m3 à 35000
ce qui ne change pas grand chose.
cordialement.
#2 Vander Haegen 17-03-2019 09:29
J'ai toujours plaisir à vous lire., et vous nous rappeler des évidences qui ont été dites et redites, sans que cela n'aie la moindre chance s'être entendu
Sur ce sujet en particulier, j'ai à peine lu votre article, que j'entends d'une oreille distraite , "dans le poste" un journaliste expliquer qu'il fait des efforts pour préserver l'eau,qui est rare, selon la personne interviewée .
Mais vous pourriez(et vous l'avez fait) écrire le même genre d'article sur de multiples sujets, par exemple les nitrates et nitrites.Je lisais dernièrement un article paru dans un grand quotidien belge qui émettait des doutes sur leur danger supposé, cela va-t-il changer quoi que ce soit?
J'ai l'impression, concernant le climat, que l"industrie de la poele à frire) fait le forcing pour mettre en place des législations, qui même si demain, la Seine est gelée au mois de juin, ne pourront être abolies, ce qui est le cas de tout le fatras de législations "écolo".
Le risque de tomber dans une sorte de "califat vert" est réel, je suis très inquiet

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