Ou la dictature obscurcie des médias
a Miss Météo de BFMTV est jolie. Elle possède, en plus, un charme incontestable, et une qualité d'élocution remarquable. Elle ne bafouille jamais en présentant ses cartes météos, et elle parle sans jamais lire son compte-rendu (sauf s'il y a un prompteur près de la caméra, mais là, je ne peux pas vérifier).
Elle a donc toutes les qualités, au moins aux yeux de sa rédaction, pour tenir son rôle.
Il y a pourtant une faiblesse dans cet ensemble de qualités : en effet, l'annonce qu'elle a faite il y a quelques minutes (nous sommes aujourd'hui le 5 décembre 2016 et il est 14h00), appartient à un bourrage de crâne méthodique effectué par la tendance écolo-bobo de météo-France.
Miss Météo/BFMTV annonce en effet qu'il y a dans le monde et par an, 1 million trois cent mille morts dont plus de quarante mille en France, tués par la pollution aux particules fines.
Elle annonce également que l'être humain respire entre 10 000 et 15 000 mètres cubes d'air par jour.
Tordons rapidement le cou à cette deuxième annonce : Miss Météo s'est simplement trompée de trois puissances de dix : c'est de 10 à 15 000 litres (et non pas mètres cubes) dont il s'agit !
La première annonce, elle, est un gros mensonge. . En effet, si on en croit l'Organisation Mondiale de la santé (OMS), les décès liés à la pollution de l'air sont, en réalité, des décès prématurés, ce qui n'est pas du tout la même chose que de décès tout court. En clair, un décès prématuré, c'est tout simplement un décès qui se produit plus ou moins en avance par rapport au moment où il aurait eu lieu (de toute façon) si le facteur en question (la pollution de l'air) n'avait pas existé. On comprend tout de suite qu'il y a un paramètre important qui doit être fourni : c'est de combien de temps le décès est avancé. Si c'est d'une heure, ce n'est évidemment pas la même chose que si c'est de plusieurs années !
Si on ne précise pas ce paramètre, et c'est ainsi que notre Miss Météo l'a présenté, sans doute de bonne foi, cette annonce signifie que le décès en question a été provoqué par la pollution de l'air, et qu'il n'aurait pas eu lieu si cette pollution n'avait pas existé. Si cela concerne plus de 40 000 personnes par an, c'est une véritable hécatombe. C'est grave, et cela demande une action immédiate.
La réalité est toute autre : Les décès prématurés le sont de quelques mois en France. Cela signifie qu'à cause de la pollution hivernale, Grand-Père, nonagénaire avancé, et dont l'état de santé s'est aggravé ces derniers temps, verra probablement le nombre de ses derniers mois diminué quelque peu. Grand-Père vous dirait sans doute qu'un peu plus tôt ou un peu plus tard, puisqu'il faut partir, quelle est l'importance réelle de conserver ces derniers mois qui sont, en général, peu agréables à vivre ?
Je me permets de présumer de la réaction de Grand-Père parce que je ne suis plus très loin de l'âge que je lui ai attribué. Mais ce n'est, à l'évidence, pas la réaction des personnes en poste dans les différentes organisations qui nous gouvernent. Pour ces personnes, l'acharnement à garder un peu plus longtemps les patients en fin de vie me parait être la première et la plus importante des règles. Je ne les jugerai donc pas, mais je signale mon désaccord.
Revenons à notre sympathique Miss Météo : je présume qu'elle n'a pas réalisé exactement ce que représentait les chiffres qu'elle annonçait, et je présume que la grande majorité des téléspectateurs ne l'a pas réalisé non plus. Pour que les choses soient plus claires, 40 000 morts par an, c'est, par exemple, plus de dix fois le nombre des décès par accident de la route. C'est encore du même niveau que le nombre moyen du total des décès en France, par mois. Que notre jolie présentatrice annonce, sans blêmir, le chiffre de 40 000 morts pour la France et 1 300 000 pour le monde entier, indique, et cela fait froid dans le dos, que le décès des autres n'est pas considéré, par des personnes bien sous tous rapports, comme très grave.
Soyons impartiaux : il y a peut-être d'autres explications, mais celles-ci sont très peu convaincantes, et je n'y crois pas une seconde. Je vais cependant les exposer rapidement.
On peut tout d'abord se poser légitimement la question du comptage réel de ces décès. Il est évident qu'il est impossible de déterminer, individu par individu, à quel âge exact le patient aurait dû mourir, puis ôter de cet âge, l'âge exact de sa mort (qui, lui, peut être connu avec précision), pour obtenir finalement le chiffre (exact) des heures ou des jours de vie qu'une exposition à une dose (évidemment variable) de poussières fines, lui a ravi.
Ensuite, cette importante constatation étant faite, quels sont finalement les chiffres dont peuvent disposer les épidémiologistes1 ? Pour répondre à cette question, on peut se référer à une étude récente publiée en français et réalisée dans 17 villes françaises entre 2007 et 2010.
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Calcul des ERR
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Dans cette étude, on calcule une valeur nommée ERR (Excès de Risque Relatif) pour une augmentation de 10 µg/m des niveaux de PM10 (particules fines de moins de 10 µm de diamètre) par cause de mortalité et par classe d'âge.
Quelle est la signification de cette valeur ? La valeur ERR exprime l'augmentation du risque de décès provoquée par une augmentation de 10 µg/m du niveau des PM10 le jour même ou la veille (lag 0-1) ou dans les 2 à 5 jours précédant aujourd'hui (lag 2-5). (Si vous avez suivi jusque-là, bravo). On trouve un ERR qui varie entre 0,04 % (lag 0,1, tous âges, maladies cardiovasculaires) et 0,63 % (lag 2-5, âge >74 ans, toutes maladies non accidentelles). Pour prendre comme exemple ce dernier chiffre : une augmentation de 10 µg/m des PM10 au cours des 2 à 5 jours précédant aujourd'hui est corrélée avec une augmentation de 0,63 % des décès non accidentels, toutes causes confondues, des personnes de plus de 74 ans. ouf !
Ajoutons que les chiffres des ERR sont, en fait, la moyenne entre deux valeurs qui représentent ce qu'on appelle l'intervalle de confiance. Remarquons que cet intervalle de confiance est très grand. En fait, dans l'exemple précédent (0,63 %) l'intervalle de confiance est -0,04 à +1,31 ; cela signifie que la valeur moyenne de 0,63% signifie en fait « le ERR a 95 % de chances de se trouver compris entre -0,04 % et +1,31 % » . Ni plus, ni moins. Et on peut continuer en disant avec 95 % de chances de ne pas se tromper : « si la valeur du ERR est de zéro (ce qui est bien une valeur comprise dans l'intervalle de confiance citée) alors une augmentation de 10 µg/m des PM10 n'a aucune influence sur l'augmentation du nombre des décès. »
Cette petite investigation dans les tréfonds des études épidémiologiques concernant l'influence de la présence des particules fines sur les décès montre simplement que les chiffres annoncés peuvent être qualifiés de fantaisistes. La moindre des corrections aurait été de les accompagner de leurs intervalles de confiance. Évidemment, cela ne fait pas le même effet « plus de 40 000 morts par an en France par suite de la pollution aux particules fines » au lieu de « une étude épidémiologique indique qu'une augmentation de 10 µg/m3 du taux de particules fines de moins de 10 µm dans l'atmosphère est corrélée avec le décès prématuré de personnes de plus de 74 ans d'un pourcentage compris entre -0,29 % et +1,39 % (intervalle de confiance de 95 %)
En réalité, seule la deuxième affirmation exprime précisément un résultat de l'étude. Il indique que la corrélation entre l'augmentation du taux de PM10 et la survenue de décès n'est pas cohérente puisqu'elle peut être négative. Mais c'est malgré tout sur ce résultat (plus d'autres, tous du même genre) que des décisions concernant la circulation automobile à Paris sont prises.
Note à propos de la circulation alternée La circulation alternée a été appliquée pour la première fois à Paris le 6 décembre 2016, et Madame Hidalgo, Maire de Paris, recommandait alors aux Parisiens (et aux autres) d'utiliser citoyennement les transports en commun comme le métro, en cette période de pollution atmosphérique. Or, il faudrait aussi signaler à ces "citoyens" que le métro est l'endroit de la capitale le plus pollué aux particules fines. En effet, des mesures effectuées en 2015 montrent que dans le métro, et en fonction des heures de la journée, la teneur en particules fines peut être de presque dix fois supérieure à cette même teneur dans une zone relativement polluée aussi comme le boulevard périphérique. Comprenne qui pourra les recommandations de la Maire de Paris.
Note N°2 du 6 décembre 2016 Çà y est, les 40 000+ morts de la pollution, c'est admis : ce soir, dans l'émission de France Inter "le téléphone sonne", un auditeur s'est déclaré extrêmement préoccupé par ce chiffre, qu'il a lui-même comparé aux 4 000 morts par an sur les routes. Il a déclaré qu'il était urgent de réagir contre cette situation très grave. Autrement dit, c'est une des rares personnes à comprendre le chiffre de 40 000 morts. Et malheureusement, parmi les quatre personnes participant à l'émission, Michaël Thébault, animateur de l'émission, Chantal Jouanno, Conseillère Régionale Ile de France, Benoit Hartmann, de l'association France Nature Environnement, Simon Vidal, d'une association de défense de conducteurs automobiles, aucune n'a rectifié le chiffre des 40 000 décès en décès prématurés. C'est à croire qu'aucune d'entre ces personnes ne connaissait cette "nuance"...
Note N°3 du 7 décembre 2016 Contrairement à ce que la plupart des gens croient, la pollution au particules fines dont on parle de plus en plus n'a pas cessé de diminuer au cours des 20 dernières années. On parle tellement de ce phénomène, que de nombreuses personnes sont persuadées que celui-ci va en s'amplifiant, alors que ce sont simplement les normes (euro) qui vont en se durcissant. Ces mêmes personnes ressentent de bonne foi l'augmentation de la pollution et ne croiront certainement pas cette note...
(1) Épidémiologistes c'est le nom que l'on donne aux médecins chargés d'élaborer et d'étudier les statistiques concernant la fréquence et la répartition des problèmes de santé dans le temps et dans l'espace, ainsi que le rôle des facteurs qui les déterminent.