C

et article a été écrit peu après l'accident nucléaire de Fukushima, qui a donné lieu à un certain nombre de réflexions concernant les centrales nucléaires françaises qui peuvent se résumer ainsi : "Certaines centrales sont situées sur des zones sismiques. Le déclenchement d'un séisme assez important pourrait amener les mêmes problèmes que ceux ayant conduit à l'évacuation de toute la population dans rayon de 11 km autour de la centrale. Ce danger n'est pas acceptable, et ces centrales doivent être fermées". 

 

Si on admet ce raisonnement impliquant l'occurence d'un séisme d'une force suffisante pour détruire partiellement les réacteurs de fission, alors, il n'y a aucune raison pour ne pas aussi envisager avec la même probabilité ce type de séisme dans la région où sont érigés ces barrages. Et là, les prévisions de décès sont facilement chiffrables et atteignent plusieurs centaines de milliers de victimes. Ce chiffre est à comparer à celui de la région de Fukushima : zéro mort pour cause nucléaire.

Sinon, il faudra admettre qu'il y a deux poids et deux mesures pour estimer les dangers.

Quelle histoire saugrenue notre Pierre-Ernest va encore nous inventer aujourd'hui allez-vous dire ? Comment les énergies renouvelables peuvent-elles être dangereuses alors qu'elles ont l'aval de toutes les organisations écologistes (quand elles existent dèjà) et de toute la communauté scientifique ? Décidément, ce Pierre-Ernest est impayable...

Voire.

Vous connaissez tous la ville de Grenoble et les 700 000 habitants de son arrondissement. Bien. Ce que vous ne connaîssez peut-être pas aussi précisément, c'est que Grenoble est située au confluent de 2 rivières : l'Isère, et une tumultueuse rivière de montagne, le Drac.

Pour la démonstration qui va suivre, je vous conseille de télécharger "Google Earth" si vous ne l'avez pas déjà.

Zoomez sur le point dont voici les coordonnées : 44° 49' 03,65'' N et 5° 54' 26,55'' E

Il s'agit d'un barrage hydroélectrique, le Barrage du Sautet sur le Drac. Remarquez l'altitude : 775 m.Barrage du Sautet

Maintenant, orientez le plan en direction de l'aval de la vallée. Réglez la perspective de façon à voir les rives de la vallée de part et d'autre de votre écran. Avant de partir, notez ce chiffre : 115 millions de m3. La dernière édition de Google Earth vous permet même de vous mettre en situation de piloter un avion dans un simulateur de vol (N'étant pas pilote moi-même, je m'écrase régulièrement au bout de quelques secondes). Commencez la descente de la vallée. Remarquez l'encaissement extraordinaire de cette vallée, et son aspect sauvage.

Après de nombreuses sinusités, on arrive à un élargissement du cours d'eau qui se transforme en lac : c'est la retenue de St Pierre Cognet. Volume : 29 millions de m3 ; altitude du barrage : 596 m.

Poursuivons notre descente sinueuse du Drac. Nous passons au saut à l'élastique du Pont de Ponsonnas. Puis, le Drac devient de nouveau tumultueux avant de se jeter dans un plan d'eau plus tranquille de 20 km de long : c'est la retenue et le barrage de Monteynard. Volume : 275 millions de m3. Altitude du barrage : 500 m.

Presque immédiatement en dessous de la retenue de Monteynard, le Drac se jette dans une nouvelle retenue, le lac de ND de Commiers (Volume : 34 millions de m3, altitude du barrage : 358 m).

La vallée commence à s'élargir à l'entrée du Grésivaudan. Le Drac longe une dérivation, le canal du Drac. Nous laissons Pont de Claix et ses usines chimiques sur la droite, puis, poursuivant une route maintenant relativement droite, pénétrons dans l'agglomération grenobloise (altitude 250 m environ) où le Drac, majestueux, rejoint l'Isère, nettement moins impressionnante, mais qui donne néanmoins son nom à la suite de la rivière qui va finalement se jeter dans le Rhône un peu au Nord de Valence.

Barrage de monteynardNous allons maintenant nous intéresser aux risques d'accidents majeurs dans la région, en particulier les risques sismiques, et nous allons consulter les documents officiels édités en vue d'un exercice qui a eu lieu le 14 avril 2011, et qui se nomme Richter 38.

Cet exercice est une simulation d'une secousse sismique dans la région. Il faut savoir que la région que nous venons de parcourir est classée en zone de sismicité "moyenne". Voici ce qu'en dit le document concernant Richter 38 :

"L'affrontement entre les deux grandes plaques Afrique et Eurasie induit une poussée de la microplaque Adriatique sur l'Ouest de l'Europe. Dans le sud-est de la France, la chaîne alpine est le résultat de cette collision continentale.
Cette activité tectonique alpine ou des Limagnes peut, occasionnellement, donner lieu à des séismes de forte intensité. Ainsi depuis le XVème siècle, près d'une vingtaine de séismes d'intensité épicentrale au moins égale à VII et dont l'épicentre se trouve au niveau de la région Rhône Alpes ont été recensés, avec 5 séismes d'intensité VII-VIII. Par ailleurs, proche de la région Rhône Alpes, plusieurs épicentres ont atteint une intensité au moins égale à VIII. L'affrontement entre les deux grandes plaques Afrique et Eurasie induit une poussée de la microplaque Adriatique sur l'Ouest de l'Europe. Dans le sud-est de la France, la chaîne alpine est le résultat de cette collision continentale. Cette activité tectonique alpine ou des Limagnes peut, occasionnellement, donner lieu à des séismes de forte intensité. Ainsi depuis le XVème siècle, près d'une vingtaine de séismes d'intensité épicentrale au moins égale à VII et dont l'épicentre se trouve au niveau de la région Rhône Alpes ont été recensés, avec 5 séismes d'intensité VII-VIII. Par ailleurs, proche de la région Rhône Alpes, plusieurs épicentres ont atteint une intensité au moins égale à VIII".
 
Il est donc normal de considérer qu'un séisme d'intensité VIII a des chances sérieuses de se produire dans la région des barrages. La rupture de chacun de ces barrages a d'ailleurs fait l'objet de calculs et les conséquences ont été chiffrées.

Si le barrage du Sautet était détruit, soit directement par un séisme, soit indirectement par un glissement important de terrain dans la retenue, ses eaux viendraient impacter la retenue directement aval de St Pierre de Cognet, qui, se situant à proximité, aurait probablement souffert également du séisme et pourrait se rompre en ajoutant ses eaux à celles du Sautet, ce qui ferait un total de 144 millions de m3.Sismicité France métropolitaine

Il est à craindre que le barrage suivant, Monteynard, ne tienne pas le choc et ajoute ses 275 millions de m3 au "tsunami alpin" qui en compterait alors 419 millions. Evidemment, les 34 millions de m3 du barrage de ND de Commiers sont à ajouter à ce déferlement. Nous en sommes donc à 453 millions de m3 qui arriveraient avec l'énergie cinétique accumulée au cours de quelques 500 mètres de dénivellé, sur l'agglomération grenobloise.

La consultation du PPI (Plan Particuliers d'Intervention) en cas de rupture du seul barrage de Monteynard nous apprend que le front d'onde arriverait à Grenoble au bout d'environ 30 à 45 minutes, avec une hauteur de 10 à 15 m et une puissance mécanique telle que les immeubles n'y résisteraient probablement pas. Si on ajoute l'effet domino produit par les 2 barrages amont (cas le plus grave), il faut doubler ces chiffres. La zone de submersion dépasserait Valence, et remonterait également largement la vallée amont de l'Isère.

Il faut bien comprendre que le tsunami qui a ravagé le Japon et qui a provoqué l'accident de Fukushima n'est rien à coté du tsunami constitué par ces centaines de millions de m3 d'eau dévalant plus de 500 m de dénivellé dans une vallée encaissée, ce qui aurait pour effet d'élever monstrueusement la vague de front.

Il est très probable que plus de la moitié de la population de l'agglomération périrait dans les premières secondes de l'arrivée de la vague, sous l'effet conjugué de l'écroulement des bâtiments et de l'inondation. L'élargissement de l'inondation impliquerait ensuite le décès de plusieurs centaines de milliers de personnes dans cette région relativement peuplée, relégant le séisme d'Haiti très loin derrière du point de vue du nombre de victimes.

Nous sommes donc en présence d'un danger majeur. Cependant, il faut se souvenir que le risque qui en résulte est, dans le jargon des études de probabilités, le produit du danger par la probabilité d'occurence du danger. Ainsi, dans un autre domaine, le danger qu'un aérolithe de plusieurs kilomètres de diamètre heurte la planète Terre est très grand. En effet, les traces laissées par de telles chutes dans le passé, et que l'on peut déchiffrer par l'étude de la géologie du globe ont montré que celles-ci avaient des conséquence très importantes et à très long terme. Par exemple, la chute d'une météorite de 10 km de diamètre dans le Golfe du Mexique il y a 66 millions d'années a dû provoquer un tsunami vraiment gigantesque auprès duquel le tsunami de Fukushima apparait comme une vaguelette presque imperceptible. Elle fut probablement suivie par des incendies de forêt sur l'ensemble de la planète puis d'un hiver permanent provoqué par les poussières en suspension dans l'atmosphère avec une chute importante des températures qui dura sans doute plusieurs siècles et qui eu pour conséquence, entre autres, la disparition des dinosaures. Cependant, ce danger si grand ne représente, en fin de compte, qu'un risque faible, car la propriété d'occurence  d'un tel phénomène (la probabilité que le phénomène arrive)  est très faible : 1 chance sur plusieurs dizaines de millions qu'une telle catastrophe survienne dans l'année.

La probabilité de survenue du scénario catastrophe du Drac décrit plus haut, est, elle, loin d'être nulle. Elle est, en tous cas, beaucoup plus grande que celle d'un accident nucléaire majeur dû à un séisme sur le territoire métropolitain. L'abondance des études sur ce sujet prouve que les autorités connaissent bien ce risque.

Seismicité région de GrenobleLa carte ci-dessus représente l'ensemble des séismes observés en France entre 1962 et 2009. Les séismes sont représentés à leur épicentre par un cercle coloré dont le diamètre représente l'intensité.

Un premier élément saute aux yeux : les séismes sont très majoritairement ressentis dans les zones montagneuses (Alpes, Pyrénées, Jura).

Un autre élément, moins visible sur cette carte, mais plus évident sur l'extrait de cette carte ci-contre est que la région sud de Grenoble a été sujette, au cours de la période considérée (1962-2009) à un nombre relativement important de séismes.

Remarquons également que c'est précisément dans cette région que coule la rivière le Drac, avec sa chaine de retenues artificielles. Le premier barrage considéré (Le Sautet) est repéré, sur l'extrait, par une flèche. On peut observer que le Drac et ses multiples retenues décrites plus haut, traverse en plein la zone des séismes.

Pour faire face à ce risque, une seule solution apparait raisonnable : rebâtir les barrages-voutes actuels, construits en béton, en barrages composites en terre comme le barrage de Serre-Ponçon, et maintenir la hauteur maximum du plan d'eau à un niveau tel qu'un éboulement soudain dans le lac consécutif à un séisme ne puisse pas faire déborder la retenue. C'est un travail de titan, nécessitant des investissement colossaux. Mais si on voulait applique le principe de précaution si cher à nos chers écolos, il faudrait, logiquement, se lancer dans cette dépense.

Face à ce dilemne, les autorités avaient le choix entre plusieurs attitudes concernant la production d'énergie (On prévoit un doublement de la demande en électricité d'ici à 2050). Voici leur choix :

  • Energies dites renouvelables
    • Aléatoires (solaire ou moulins à vent) : Les inconvénients de l'intermittence sont faibles tant que la densité des installations ne dépasse pas quelques %. : on peut donc laisser sans crainte les populations et les élus locaux s'opposer d'eux-mêmes aux projets. pour réguler cette installation. Si besoin, on réduit les incitations fiscales en cas d'engouement trop fort.
    • Hydraulique : Le risque, représenté par le produit du nombre possible de victimes par les chances d'occurence, est fort. Mais le coût de la suppression du danger est démesuré. On ignore donc le risque, d'autant plus que l'hydraulique (existant) a plutôt la faveur des mouvements actuels.
  • Energies conventionnelles
    • Hydrocarbures (Pétrole, gaz et charbon) Le basculement progressif vers le gaz permet de limiter temporairement les prix. D'autre part, si le prix du pétrole brut reste durablement à une valeur élevée, (nettement au-dessus de 50 $/bbl) les conversions vers les hydrocarbures liquides à partir du charbon deviennent particulièrement intéressantes. (Procédé Fischer-Tropsch). On laisse donc se développer toute seule cette tendance.
    • Nucléaire : Le risque (produit du nombre possible de victimes par les chances d'occurence) est pratiquement nul, comme l'a montré récemment l'accident de Fukushima. (Zéro victime des radiations). Mais la perception du risque par la population est démesurément surévalué, à la fois par l'action des organisations hostiles, et aussi par l'image du danger représentée par les évènements du Japon. (Dans le mythe populaire, et sous l'influence des organisations hostiles, le nombre de victimes du tsunami se confond progressivement avec celui des victimes supposées de l'accident nucléaire). Le risque politique est donc sérieux. L'option nucléaire étant une option en faveur des générations futures qui n'auront plus de fossile, mais qui n'apporte rien de visible aux générations actuelles, il est facile de la sacrifier, d'autant que la crise énergétique latente pourra faire se retourner les opinions, mais dans un avenir non prévisible. La tentation est donc grande de sacrifier le nucléaire, imitant en cela les adeptes de la real politik comme l'Allemagne, ou ceux du passager clandestin comme l'Autriche (je consomme de l'électricité nucléaire européenne, mais qui est produite chez le voisin si possible lointain).

Sur le plan des personnes, et en ce qui concerne spécifiquement le risque hydraulique :

Les préfets successifs qui se sont rendu compte du danger ont assumé le risque sans modifier quoi que ce soit : un préfet ne reste jamais que quelques années au même endroit.

De nombreux anciens ingénieurs d'EDF, conscients du danger, sont allé prendre leur retraite dans des maisons situées soit en aval des barrages mais à une altitude assez grande pour que tous risque soit écarté, soit carrément en amont des barrages.

En conclusion, et contrairement à une opinion publique très répandue, la production d'énergie électrique par la voie hydraulique contient probablement le risque de catastrophe majeure de loin le plus important en cas de séisme, très loin devant les catastrophes nucléaires supposées. En effet, la résistance d'un réacteur nucléaire à un séisme exceptionnel a été démontrée à Fukushima (l'accident a été en fait provoqué par le tsunami, mais les réacteurs ont résisté).

On peut donc énoncer, avec peu de chances de se tromper que :

Flèche  La prochaine catastrophe concernant la production d'énergie fera peut-être plusieurs centaines de milliers de victimes et se situera dans les Alpes.