Ils décident et nous nous adaptons...

L'imagination de nos politiques ne connaît pas de borne en ce qui concerne l'amorce 1, lorsqu'il s'agit d'aller à la pêche aux suffrages. Il semble néanmoins que c'est l'amorçage à l'innovation verte qui soit le plus à la mode. Ce type d'amorçage présente en effet l'énorme avantage d'être auto-protégé, puisqu'il est de fait interdit de contester son utilisation.

Voici un petit florilège des idées qui se disent bonnes et qui appartiennent à cette catégorie. Elles présentent le point commun remarquable d'avoir toutes été mises en œuvre sans que leurs conséquences aient été réellement étudiées au préalable. Et logiquement, le corolaire en est que leur application est laborieuse et surtout très coûteuse, justifiant l'adage désormais classique : c'est écologique, donc c'est plus cher et ça marche moins bien. Ou alors, elles n'ont que l'apparence de l'innovation de laquelle elles se revendiquent et elles étaient mises en œuvre bien avant que leurs inventeurs contemporains ne soient nés... 

L'interdiction des sacs plastiques

Lorsque je vais faire des courses dans un hypermarché (j'adore), ou dans un magasin de bricolage, j'oublie assez régulièrement à la maison ou dans le coffre de ma voiture les sacs éternellement remplaçables (c'est du moins la publicité du magasin, que je n'ai jamais expérimentée) qui sont censés remplacer le sac que le magasin n'offre plus. J'achète donc régulièrement des nouveaux sacs renforcés pour emballer mes emplettes, ou alors je ressors du magasin les poches  et les bras chargés d'objets divers, si bien que régulièrement, je répands ces objets dans le parking ou dans le coffre de ma voiture. Cette situation nouvelle créée par l'administration européenne est évidemment exploitée à fond par les commerçants qui ont vu là un nouveau marché captif s'ouvrir. Est-ce pour cela que de nombreux Européens en ont marre de l'Europe ? Ce n'est certainement pas la seule raison, mais, disons que cela participe un peu au rejet de l'institution.

L'interdiction de ces objets a été motivée par le fait qu'on retrouve ces sacs un peut partout dans la nature et dans la mer, en raison de leur relative indestructibilité. On a lu en effet dans certaines revues écolos très sérieuses que leur durée de vie dans la nature était estimée à 500 ans . Chiffre qui suppose que les travaux de laboratoire permettant d'étayer cette affirmation ont démarré en 1517, deux ans après la bataille de Marignan et sous le règne du bon roi François Premier.

Généralement, les mêmes politiques qui votent ce type d'interdiction parlent très souvent d'innovation. Personnellement, je n'ai pas connaissance d'avoir vu les politiques ayant lancé cette interdiction comme une fatwa, organiser ou favoriser un semblant de recherche autour du problème des sacs plastiques non biodégradables. Question de hauteur sans doute. La mise au point d'un plastique ayant les qualités mécaniques requises et qui se détruise rapidement dans l'environnement est une question bien trop triviale pour pouvoir espérer être traitée par ces penseurs de haut niveau.  Ironie du sort, des sacs garantis biodégradables rapidement, et qui ne peuvent donc pas se concentrer dans la mer, viennent d'apparaître dans les hypermarchés. La solution au problème est apparue, mais, comme toujours, en dehors du champ que les planificateurs avaient prévu. Il sera intéressant de voir si, à la suite de cette découverte, les politiques remettent en cause leur législation... En attendant, des sacs plastiques sont de nouveau disponibles dans les hypermarchés pour emballer les légumes et les fruits....

L'interdiction des lampes à incandescence

L'idée de base qui a présidé à cette interdiction est qu'il existe des alternatives moins énergivores aux lampes à incandescence classiques. Au départ, il n'y avait d'ailleurs qu'une seule option : les lampes fluo-compactes (LFC) qui ne sont d'ailleurs que des petits tubes fluorescents classiques que l'on a simplement enroulés sur eux-mêmes pour qu'ils ressemblent aux ampoules à incandescence et occupent le même espace, afin de favoriser la substitution. Les députés européens avaient trouvé que les fabricants pouvaient s'y retrouver dans la substitution (prix de vente plus élevé compensant le coût de fabrication plus élevé et la durabilité plus grande). Les consommateurs devaient théoriquement s'y retrouver aussi, car la consommation électrique d'une LFC est nettement plus faible que celle d'une ampoule à incandescence.

tube halogeneCette interdiction doit être effective en France en 2018. Mais elle a été précédée d'une saga qu'il faut décrire dans ses grandes lignes :

Les députés européens considéraient tranquillement que le fait d'imposer la substitution aux consommateurs européens n'était pas un problème, puisque le consommateur devait finalement payer moins cher pour s'éclairer grâce à la plus faible consommation et à la plus grande longévité des LFC.  Notons que ce n'est pas ce qu'ont décidé les consommateurs au Texas où les élus locaux ont obtenu le maintient sur le marché des ampoules à incandescence classiques.

Sauf que la perte de rendement dans les ampoules à incandescence se traduit par un échauffement de l'ampoule à incandescence (effet Joule) qui participe finalement au chauffage de la pièce durant la saison de chauffe et que dans les pays froids, la saison de chauffe peut durer toute l'année. Cet état de fait n'avait pas été pris en compte dans les calculs de nos malheureux députés européens.

Sauf que les LFC de forte puissance n'existaient pas ou peu. Les vendeurs forçaient les consommateurs à substituer aux ampoules à incandescence classiques de 100 watts des "équivalents" à 75 watts en prétendants que les performances étaient identiques... 

Sauf que les LFC mettaient un certain temps avant d'atteindre leur régime de croisière, et que leur utilisation dans les cas de courte durée (1 ou 2 minutes) ne convenait ni à l'ampoule, ni au consommateur.

Sauf enfin que certains vendeurs de LFC peu scrupuleux affichaient des performances d'éclairement et de longévité totalement imaginaires et impossibles à contrôler pour un consommateur moyen. Les éléments de preuve d'une LFC défaillante étaient en effet impossible à démontrer en l'absence d'identification précise (N° de série des LFC au moment de la vente ne figurant pas sur la facture). J'ai effectué, à cette époque , des tests de comparaison de performances, et les résultats étaient édifiants quant aux performances réelles par rapport aux performances annoncées...

Ces quatre raisons ont fait que les LFC, adoptées au départ avec enthousiasme par la jeune génération on été mal acceptées par les générations plus âgées qui sont restées en majorité aux ampoules à incandescence, si bien qu'il a fallu adapter la législation à ce refus en créant après coup une nouvelle catégorie d'ampoules que l'on a appelées les lampes ECO-halogènes (ECO-H).

Les ECO-H sont le fruit d'une innovation intelligente qui résulte de l'analyse des raisons de l'usure des tubes halogènes. Les tubes halogènes sont composés d'un petit tube de quartz transparent contenant un  gaz halogène, en général de l'iode (I2). (L'iode est un solide à la température ordinaire 2). Le tube contient un filament sous la forme d'une spiralede tungstène. Le tungstène est un métal qui fond à 3 422 °C. Le passage du courant dans le filament provoque la montée en température presque instantanée de ce dernier jusqu'à une valeur d'environ 2 800 °C. A cette température, l'iode est volatilisé et passe sous la forme de gaz. L'iodure de tungstène qui se forme à partir de ce gaz et du métal vaporisé autour du filament vient spontanément se condenser sur le filament chaud en redonnant le tungstène métallique plutôt que de se condenser sur la paroi de quartz, plus froide. L'introduction d'un halogène dans le tube de quartz "redécouverte"3 en 1959 par des chercheurs de Général Electric a donné des lampes plus éclairantes et surtout à durée de vie fortement améliorée. 

Arrivons maintenant à une cause fréquente d'usure de ces tubes : lorsqu'on les touche avec les doigts, on laisse, à la surface du tube, une fine couche de matière organique grasse (les fameuses empreintes digitales). Cette couche grasse se décompose sous l'effet de la chaleur en laissant des grains de carbone qui se mettent à briller lorsqu'ils sont chauffés, conformément à la loi de Wien. Ce phénomène entraine une détérioration des propriétés du quartz qui devient localement poreux et entraine la destruction prématurée du tube halogène.

Pour contrer le phénomène, les fabricants ont imaginé d'enfermer le tube halogène dans une seconde enceinte en verre. Dans ces conditions, le contact avec les doigts ou les sources de pollution domestiques (poussières grasses) devient impossible, et la durée de vie du tube halogène est largement augmentée, ce qui permet d'augmenter la température du filament et donc le rendement global d'éclairement. Le gain est appréciable : 30 %. De plus, la lampe ECO-H ressemble tout à fait à la lampe à incandescence qu'elle remplace, tout en ayant un rendement lumineux amélioré. Il s'agit donc d'une véritable innovation.

L'essor des lampes ECO-H est une réponse des consommateurs et des fabricants à l'attitude arrogante des députés européens qui veulent penser et choisir à la place des consommateurs. Il est en effet clairement inconcevable que les députés décident de ce qui est bon ou mauvais pour les gens. La liberté, qui fait l'objet des quatre premiers articles de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qui figure au fronton des édifices public, c'est aussi la liberté de choisir et non d'abandonner ce choix à d'autres, fussent-ils députés européens. Voici donc une législation stupide contournée (habilement) par une innovation intéressante, et qui a permis de continuer à y voir clair dans les maisons en dépit des décisions saugrenues de députés européens irresponsables jusqu'au moment où la véritable innovation (les LEDs) sera en état de remplacer enfin les ampoules à incandescence, pour le plus grand bien des consommateurs, ce qui est en train d'arriver à toute allure.

L'interdiction de l'éclairage des routes

Nos "innovateurs" à deux sous qui s'étaient aussi mis dans la tête de nous faire faire des économies d'énergie à tout prix, pour des raisons mystérieuses, car à la différence de la plupart des autres pays, l'électricité Nombre daccidents Franceproduite en France ne dégage pas ou très peu de CO2, ont trouvé un moyen astucieux de forcer ces économies en utilisant l'intimidation et la cupidité des élus. L'intimidation parce qu'on n'ose pas s'opposer à une mesure "écologique", même si elle est stupide et provoque la mis en danger permanent de millions d'usagers. La cupidité car il est très valorisant, pour un élu local, de réduire significativement les dépenses de sa commune. Il faut savoir, en effet, que le coût de l'éclairage d'une voie de circulation est à la charge de la commune traversée. On voit tout de suite l'intérêt de la manœuvre : on coupe l'éclairage, ce qui améliore le budget de la commune locale en évitant la réaction négative des usagers puisqu'ils ne sont pas, en général, habitants de la commune traversée. L'intimidation, encore en exerçant une pression discrète sur les organismes chargés de la sécurité afin qu'aucune étude mesurant l'impact réel de l'obscurité imposée sur le nombre d'accidents ne soit publiée. Cet incroyable abus de pouvoir a été rondement appliqué dans toute la France et probablement (mais je n'en sais rien) dans certains autres pays d'Europe. En tout cas, je pense qu'il n'a pas été appliqué en Belgique où presque toutes les autoroutes sont éclairées sur toute leur longueur.

Le résultat final est clairement visible si on consulte les statistiques d'accidents : depuis 2013, date du début de la mis en application de cette décision stupide, le nombre d'accidents de la route en France a cessé de diminuer d'année en année. Au vu du graphique de droite, on peut considérer que cette décision nous a coûté un peu plus de 10 000 accidents par an, soit environ 600 tués et 12000 blessés. Evidemment, aucune statistique officielle ne fera le rapprochement entre cette hécatombe et l'idée de sauver la planète en éteignant les réverbères, mêmes ceux qui fonctionnent sans produire du CO2 comme les réverbères français...

 

Le recyclage des objets et des éléments

De toutes les "innovations" citées dans ce billet, c'est certainement la plus sauvonslaplanétique. Et aussi la plus incongrue. Car, le recyclage des objets ou des matériaux, c'est vraiment quelque chose qui a existé de tous temps, et qui a permis à une certaine catégorie de la population sur la planète, de vivre ou de survivre. Ce n'est donc pas une activité anodine. Ce n'est par exemple pas par hasard que les favelas de Rio de Janeiro se sont créées au voisinage immédiat des dépôts d'ordures : une nuée de personnes exploite ces derniers en permanence, et tout ce qui peut servir y est récupéré, trié, réparé et remis dans le circuit économique. C'est leur faire insulte que de considérer que le recyclage à été "découvert" récemment par quelques bobos en mal de justification. Ce recyclage des objets est décrit en termes dithyrambiques par l'irremplaçable Philippe Bertrand sur France Inter comme une conquête sociale majeure du vingt-et-unième siècle, créatrice d'emplois. En réalité, cette fameuse et mirifique création d'emploi est un magnifique "sucre pour faire sauter le chien", comme me le répétait souvent un de mes anciens patrons à propos d'innovations proposées pour améliorer le service. Et si le chiffre d'affaires nouveau crée par la vente des objets recyclés permet de payer un certain nombre d'emplois nouveaux, il ne faut pas oublier que cette dépense, par les acheteurs de ces nouveaux objets, est réalisée à la place de l'achat d'autres biens ou services, et crée donc une perte de chiffre d'affaires d'un même montant, engendrant quelque part une perte d'emploi. Le raisonnement est d'ailleurs général et peut s'appliquer à peu près chaque fois que les politiques nous bassinent avec les "créations d'emploi". Les vrais et seules créations d'emploi proviennent de la vraie innovation. 

Mais examinons quelques exemples réels de recyclage :

Fibres textiles. J'ai baigné toute ma jeunesse dans le milieu textile, et j'y ai vu, de tous temps , pratiqué un recyclage systématique et rationnel des fibres textiles. De la grand-mère qui détricotait soigneusement un pull-over usagé pour en tirer quelques pelotes de laine qu'elle re-tricotait ensuite tout aussi attentivement en un pull-over neuf, à la machine textile capable de déchiqueter le même pull-over pour le transformer en une "bourre" légère qui était ensuite associée avec des fibres neuves et tout aussitôt transformée en fil à tricoter neuf. Ce recyclage-là ne date pas d'hier.

Les chiffons, produits résultant de la lacération de produits textiles à base de coton constituent une matière première irremplaçable pour la fabrication de papiers de haute qualité "pur chiffon". La pâte à papier conventionnelle elle-même est fabriquée à partir de cellulose (bois), mais contient également une proportion non négligeable de vieux papiers désencrés et déchiquetés, recyclage traditionnel harmonieusement intégré à la fabrication.Les entreprises qui se sont créées ces dernières années sur ces filières de recyclage du textile n'ont rien innové, si ce n'est la peinture verte.

L'industrie verrière utilise, elle aussi traditionnellement du verre recyclé et concassé qu'on nomme le calcin. Le calcin apparaît indispensable dans le processus de vitrification, si bien qu'il se pose (pour les béotiens du verre comme moi) un problème philosophique grave analogue au problème de la poule et de l'œuf... Encore un exemple de recyclage intégré à la fabrication, et qui n'a pas attendu les sauveteurs de planète pour exister.

L'étain. Bien avant l'utilisation généralisée de vernis époxy à base de bisphénol A dans les boites de conserves, on utilisait l'étain pour revêtir intérieurement les boites d'une couche inoxydable et insensible aux acides très corrosifs contenus dans les aliments. Ce qu'on ne sait en général pas, c'est que l'étain des boites usagées et des bandes dans lesquelles on découpait les boites de conserve était soigneusement récupéré en faisant agir du chlore sur ces éléments métalliques. Une usine spécialisée dans cette récupération existait à Clamecy (Nièvre). Le chlorure stannique résultant est un produit minéral très curieux en ce sens qu'il est liquide à la température ordinaire (point d'ébullition : 114 °C). Sa densité est peu commune : 2,23 à 20 °C. Voici un de ses usages (a-t-il disparu ?) : pulvérisé en très faible quantité sur les objets moulés en verre (bouteilles, vaisselle, etc) il rend l'objet beaucoup moins sensible à l'ébrèchement. (J'ai peut-être là trahi un secret de fabrication, à moins que ce ne soit qu'un secret de Polichinelle).

L'acier et la fonte ont, de tous temps, contenu une fraction plus ou moins importante de matière recyclée. Les déchèteries modernes séparent les matériaux ferreux du reste des déchets, mais la récupération du fer et des métaux a de tous temps existé dans les villes et les campagnes, constituant un métier véritable (et non subventionné) pour un certain nombre de personnes. Il existe d'ailleurs depuis  très longtemps un cours officiel des métaux de récupération qui repartent vers les installations de production.

L'eau. Que vient faire l'eau dans cette liste allez-vous me dire ? Eh bien, l'eau est certainement le produit le plus recyclé de la planète. L'eau "consommée" par les procédés industriels ou par les malheureux humains qui la "gaspilleraient" d'après certains gourous écolos est éternellement recyclée en étant "nettoyée" dans les unités de traitement de l'eau ou, plus naturellement, dans le processus d'évaporation/condensation que constitue le cycle de l'eau. Ce recyclage fait que la pénurie d'eau, abondamment décrite dans la littérature alarmiste n'est ni pour demain, ni pour après-demain.

Ces quelques exemples prouvent deux choses :

  1. Le recyclage est universel et n'est pas le résultat de l'inventivité de nos sauveteurs de planète, mais existe, en fait, depuis toujours.

  2. Le recyclage est souple, et se perfectionne lorsque le besoin s'en fait sentir. Si un jour le prix d'un élément venait à monter par suite de l'augmentation du prix d'extraction, les chimistes se mettraient au travail afin d'améliorer le rendement du processus de récupération. Comme depuis Lavoisier, on sait que rien ne se perd et rien ne se crée à la surface de la planète, on peut imaginer sans faire preuve d'un excès de confiance dans le travail scientifique que le risque de pénurie d'un élément est, de ce fait, nul, n'en déplaise aux alarmistes qui avaient prévu par exemple une pénurie de Terbium à partir de l'année 2012. (Vous en aviez entendu parler ? Moi non plus).


 

(1) L'amorce, pour un pêcheur, c'est ce qu'on accroche à l'hameçon et qui sert à attirer le poisson.
(2) L'iode est un élément (halogène) contenu dans l'eau de mer à très faible dose. La fameuse odeur d"air iodé" chère au commun des mortels (non chimistes) n'est pas due à l'iode lui-même mais plutôt, et moins poétiquement, au sulfure de diméthyle. C'est la conclusion d'un chercheur de l'Université d'East Anglia.
(3 Le procédé avait été décrit dans un brevet de 1933.

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