A l’heure où Emmanuel Macron déclare que « nous ne ferons pas l’économie d’une réforme de notre système de retraites », voici un bref rappel à propos de la capitalisation.
videmment, ce titre risque d'être considéré en France, comme une provocation. C’est un peu comme si on ouvrait un parapluie à l’intérieur d'un logement, ou si on proférait des injures à l’égard d’un mort dans la chambre mortuaire. Aussi, je dois m’efforcer de présenter immédiatement non pas les excuses que certains lecteurs attendaient peut-être, mais des arguments sur ce que j’avance. Les voici :
Le système de retraite par répartition consiste à payer les retraites des pensionnés en prélevant les sommes versées sur les émoluments des salariés actifs. Si le nombre des pensionnés devient de plus en plus important par rapport au nombre des actifs, ceux-ci auront une charge de plus en plus forte à assumer, ou encore seront forcés de quitter de plus en plus tard la période « travaillée ». Cette situation est profondément injuste, parce qu’elle n’a pas été choisie ni par ceux qui payent ni par ceux qui les représentent.
Il y aurait bien une solution à ce problème : ce serait de diminuer le montant des pensions au prorata du rapport des nombres des personnes. Mais c’est une situation au moins aussi injuste que la précédente, parce en plus du fait qu’elle est subie par ceux qui verraient leur pension diminuée, ces pauvres gens n’ont même pas la solution qui consisterait à changer de situation comme lorsqu’ils étaient actifs. Remarquons au passage que c’est la situation dans laquelle un certain nombre d’entre eux (les cadres) ont été placés par le Président Macron puisqu’ils voient leur pension diminuée d’année en année par le jeu de l’inflation…
Dans le système qu’on pourrait qualifier de « naturel », la personne active met de coté de l’argent en prévision des temps où elle ne sera plus en mesure de travailler. C’est ce qu’on peut appeler le système « fourmi ». Dans le système par répartition, il n’y a pas à se préoccuper de l’avenir. On peut (et on est d’ailleurs encouragé à) avoir un comportement « cigale ». Constatons que ce comportement a les faveurs des personnes qui se classent plutôt à gauche. Le comportement « fourmi » est lui, plutôt un comportement de droite.
Le système dit « par capitalisation » est calqué sur le système naturel. Chaque salarié met chaque mois de coté une certaine somme qui est gérée par un organisme spécialisé appelé fond de pension. Cette somme est comptabilisée sous la forme de « points ». Au moment de sa retraite, le compte du salarié contient un certain nombre de points qui détermine le montant de sa retraite. L’intérêt (pour le salarié) de la gestion de ses économies par un fond de pension est que sa retraite lui est versée jusqu’à sa mort, alors que s’il avait mis simplement ses fonds de côté, il risquait, s’il vivait « trop » longtemps, de voir disparaître ces derniers avant lui…
Techniquement, la capitalisation a un gros avantage sur la répartition : en effet, dans le système par répartition, les fonds sont, au moins théoriquement reversés immédiatement. Dans la capitalisation, au contraire, ces fonds, qui peuvent être considérables, sont placés et produisent des intérêts pendant tout le temps où le salarié travaille, et ne lui sont reversés qu’à partir du moment où il est en retraite. Le montant de la retraite du salarié est donc théoriquement plus élevée que dans le cas de la répartition puisque les intérêts s’y rajoutent, et que le temps d’immobilisation est en moyenne élevé . Tout cela, évidemment si les fonds ont été correctement gérés. Mais c’est en général le cas dans les pays où le système est appliqué. Évidemment, il y a des exceptions, et c’est celles-là que les adversaires de la capitalisation montrent toujours du doigt…
Il y a une autre différence fondamentale entre les deux systèmes : c’est la période de démarrage.
Pour schématiser, mettons-nous à la place des organisateurs, en face de deux populations : une population de salariés et une population de retraités. On peut mettre immédiatement en place le système de retraite par répartition, sans rien y ajouter. En effet, les cotisations prises sur le salaire des salariés sont disponibles et peuvent être immédiatement distribuées aux retraités sans qu’il en coûte rien. Avec le système par capitalisation par contre, la population des retraités ne touchera théoriquement rien au démarrage. C’est seulement lorsque les seniors de la population des actifs auront atteint l’âge de la retraite qu’ils commenceront à toucher la (faible) retraite que leur permettront le (faible) nombre de points acquis pendant le (faible) temps où ils auront cotisé. La situation globale s’améliorera ensuite progressivement, mais il faudra que le dernier actif de la population initiale de salariés soit en âge de prendre sa retraite pour que le système atteigne son régime de croisière. Pour que le système soit acceptable par tous depuis le début, il faut donc que les organisateurs compensent le « manque à gagner » des premiers retraités.
Ne cherchons pas une autre raison pour laquelle les premiers députés de la 4ème République ont choisi la répartition : il n’y en a pas. Et c’est aussi pour « vendre » ce système aux intéressés qu’il a été sanctifié au point que toujours maintenant, la « répartition » est considérée comme un système sacré auquel il est interdit de toucher et qui fait partie des mythes constructeurs de notre République.
En revanche de ses difficultés de démarrage, remarquons que la capitalisation possède l’énorme avantage qui est que les sommes qui sont distribuées aux pensionnés sont toujours proportionnelles au nombre des intéressés (sous réserve, toujours, d’une bonne gestion) puisque c’est l’argent qu’ils ont mis eux-mêmes dans le système qui leur est reversé. Ce n’est pas le cas de la répartition qui est soumise aux aléas de la pyramide des âges.
Pour résoudre le problème du démarrage de la retraite par capitalisation, il faut emprunter au début de celle-ci les sommes nécessaires pour payer les retraités n’ayant pas cotisé, ce qui, bien entendu, obère les capacités d’emprunt des organisateurs (en France, l’État).
Revenons à nos députés du début de la 4ème République : ils avaient le choix entre un système nécessitant un lourd emprunt au début, mais qui trouverait ensuite tout seul son équilibre pour l’éternité (la capitalisation), et un système qui permettait de satisfaire d’un seul coup tout le monde et qui ne coûtait (au moins théoriquement) pas un centime, mais qui pouvait conduire, dans le futur, aux difficultés liées au mauvais rapport entre le nombre de cotisants et le nombre des retraités que nous connaissons aujourd’hui (la répartition). Evidemment, ils ont choisi, comme toujours, la facilité.
Remarquons encore qu’en France, les personnes qui rejettent actuellement le plus fermement le système de retraite par capitalisation font précisément partie de celles qui en bénéficient. En effet, les retraites des anciens fonctionnaires sont payées par l’État au moyen d’emprunts. L’État, éternelle cigale, n’a en effet pas pu mettre ces sommes de côté. Il emprunte donc sur le marché financier, et en faisant cela, il s’engouffre dans le système de la capitalisation. Mais c’est une capitalisation subie, puisqu’il n’est pas le préteur, mais l’emprunteur, avec tous les aléas que peuvent représenter l’évolutions des taux d’emprunts. Il y a quelques années, les fonctionnaires grecs retraités ont vécu exactement l’inconvénient de ce que représente la remontée des taux d’intérêts : ils ont vu leur pensions amputées de 30 ou 40 %.
Ce système consistant à payer les pensions avec des sommes empruntées revient à faire payer les retraites par les générations à venir, puisqu’il faudra bien continuer à payer les intérêts et à rembourser le principal. Éternellement d’ailleurs, puisqu’on ne voit absolument pas comment on pourrait s’en sortir1.
Résumons-nous :
- Dans le système de retraite « naturel » par capitalisation, les retraités reçoivent une retraite correspondant à l’argent qu’ils ont mis de côté. C’est un système terrible qu’il faut absolument éviter pour la majorité des Français.
- Dans le système par répartition, les salariés reçoivent leur retraite payée par les cotisations des salariés actifs. Le complément, en cas de déficit comme aujourd’hui, est payé par les générations futures. C’est un système qu’il faut absolument conserver pour la majorité des Français, car il est fondé sur ce qu’on appelle la solidarité, dans laquelle la partie « solidaire » n’a pas donné son accord puisqu’elle n’existe pas encore, ce qui est bien pratique…